L’épigénétique, quand l’environnement a son mot à dire sur la génétique.

L’épigénétique, quand l’environnement a son mot à dire sur la génétique.

Pendant de nombreuses années après la découverte de l’ADN et du génome, les scientifiques se sont posés une question particulièrement intrigante : Comment se fait-il que chacune des cellules de notre corps possède le même génome (la même information génétique), et que pourtant les cellules se différencient et acquièrent des fonctions/morphologies différentes ?

Cette question a pas mal taraudé les chercheurs, et face à leur incapacité à y répondre d’un point de vue génétique, Conrad H. Waddington (1), professeur de génétique animale de l’Université d’Edimbourg, émet en 1952 l’hypothèse d’un mécanisme encore non-identifié qui ajoute un niveau de complexité supplémentaire au traitement de l’information génétique. Un mécanisme qui supplante la génétique. Il parle alors d’épigénétique. Quelques décennies plus tard, avec l’amélioration de nos connaissances en termes de génétique en raison du développement des techniques, la définition s’affine un peu et devient « l’ensemble des changements héritables de l’expression génique qui surviennent sans changement de la séquence d’ADN » (2).

Nous sommes donc à la fin des années 1990, début 2000, et la génétique prend une toute nouvelle dimension avec l’achèvement du Projet Génome Humain en 2003, mené en collaboration entre plus de 350 laboratoires issus de 18 pays différents pendant 13 années. Ce projet a permis le séquençage complet du premier génome humain. Et alors que nous n’avons toujours pas fini de traiter toutes les données dont regorge notre génome (ni le nombre exact, ni la fonction de chaque gène Humain n’est encore connu(e) précisément), l’intérêt commence doucement mais sûrement à se transposer à l’épigénétique. Les scientifiques identifient non pas un mais plusieurs mécanismes moléculaires permettant la modulation de l’expression génique – et la traduction protéique. La partie submergée de l’iceberg se fait connaître et l’épigénétique apparaît désormais comme un mécanisme très puissant impliqué dans de nombreuses cascades physiopathologiques.

Alors qu’est-ce donc concrètement l’épigénétique ?

Un chercheur pourrait vous qualifier l’épigénétique comme « un levier de régulation de l’expression génique en réponse à une modification environnementale ». De manière plus compréhensible, considérez le génome comme un énorme livre de recettes contenant approximativement 25 000 recettes (les gènes) codant pour différentes protéines. Dans cette analogie, l’épigénétique correspond aux mécanismes qui rendent certaines pages plus ou moins inaccessibles : les pages peuvent être collées, illisibles à cause d’une tâche mal placée, … et donc empêcher la cellule, de manière plus ou moins ponctuelle, à produire ces protéines.

Ces mécanismes de régulation, héréditaires mais aussi réversibles, permettent donc de moduler l’expression de certains gènes en fonction des besoins environnementaux. L’exemple le plus courant est celui de la famine Hollandaise (3) de novembre 1944 au 7 mai 1945, produit de l’embargo nazi sur l’ouest du pays. En effet, l’exposition à cette famine a eu de nombreux effets sur les femmes enceintes et leurs enfants. En particulier chez les femmes enceintes depuis moins de 6 mois qui ont données naissance à des enfants chez qui la prévalence de surpoids post-natal était augmentée de 80% (mais aussi des troubles cardio-vasculaires et cognitifs). Ces enfants, préparés à naitre dans un environnement pauvre en nourriture se sont adaptés en développant des moyens de stockage de graisse efficaces (4). Mais leurs naissances dans un milieu de restriction calorique modérée (i.e milieu calorique normal) ont rendu leurs métabolismes inadaptés, d’où cette forte prévalence d’enfants obèses.

D’autres exemples d’épigénétique :

  • L’axolotl est un animal pouvant devenir amphibien ou purement aquatique en fonction du milieu lors de son développement (5).
  • En fonction de l’alimentation de la mère, la souris Agouti a le pelage qui passe du jaune au brun de manière plus ou moins nuancée. Les souris Agouti jaunes présentent des risques d’obésité, de diabète ou encore de cancer, quand les souris brunes n’ont aucun problème de santé (6).
  • Les larves d’abeilles nourries à la gelée royale deviendront de futures reines, tandis que celles nourries de miel et de pollen seront des ouvrières.
  • Chez l’Homme, l’épigénétique permet l’inactivation d’un des deux chromosomes X de la femme, mais aussi « l’empreinte génomique », c’est-à-dire la mise sous silence de certains allèles (versions de gènes) parentaux lors de gamétogénèse (la production de gamètes). A l’origine ce mécanisme permet d’éviter des « doublons » entre les allèles maternels et paternels mais il peut aussi induire de nombreuses pathologies.
  • Chez certains reptiles, un même œuf peut donner un mâle ou une femelle en fonction de la température. La détermination du sexe, l’utilisation des gènes codant soit pour l’un soit pour l’autre, dépend donc d’un phénomène épigénétique (cf l’article de Marion sur les crocodiles)

Attention toutefois à ne pas confondre ce processus d’adaptation avec l’évolution Darwinienne. En effet, on peut parler ici de Réponse Adaptative de Prédiction, où l’environnement parental/prénatal/postnatal engendre des modifications d’expression génomique pour une adaptation à l’environnement post-natal. Mais bien qu’héréditaires, ces modifications peuvent disparaître – parfois rapidement, parfois après plusieurs générations – si l’adaptation n’est plus utile ou si l’environnement est modifié à nouveau. Les phénomènes de stabilisation du phénotype au niveau génomique (l’évolution Darwinienne) à partir de modifications épigénétiques multigénérationnelles sont une théorie qui reste encore à prouver.

Charles-Antoine Papillon

Sources :

  1. Waddington C.H. (1952): The Epigenetics of Birds (New York: Cambridge Univ. Press).
  2. Wolffe A.P. and Matzke M.A. (1999): Epigenetics: regulation through repression. (Science 286,481–486).
  3. Ravelli G.P. et al (1976): Obesity in young men after famine exposure in utero and early infancy. (N Engl J Med. 1976 Aug 12;295(7):349-53).
  4. Tobi E.W. et al (2009): DNA methylation differences after exposure to prenatal famine are common and timing- and sex-specific. (Hum Mol Genet. Nov 1;18(21):4046-53)
  5. Gluckman P.D. and Hanson M.A. (2004): Living with the Past: Evolution, Development, and Patterns of Disease (Science, Vol. 305 no. 5691 pp. 1733-1736).
  6. Waterland R. C. and Jirtle R. L. (2003): Transposable elements: targets for early nutritional effects on epigenetic gene regulation (Mol. Cell. Biol., vol. 25, pp. 5293–5300).

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