Alcool et adolescence

Alcool et adolescence

« Les jeunes boivent de plus en plus ». C’est une idée qui se répand souvent de génération en génération, mais est-elle valable ou certains souffriraient-ils d’amnésie ?

Plongeons-nous donc dans les chiffres de l’OFDT (Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies), qui mène régulièrement des enquêtes épidémiologiques, pour éclairer notre lanterne.

Mais avant cela, un peu de contexte sur la consommation d’alcool en France. Parce qu’évidemment, l’alcool prend une place particulière dans le quotidien des français, origines viticoles obligent. En effet, même si les quantités annuelles consommées par chaque français sont en constante baisse depuis les années 1960, en 2013 chaque français buvait en moyenne 2,6 verres standards (c’est-à-dire 10g d’alcool pur par verre, comme dans les établissements autorisés à servir des boissons alcoolisées) par jour. Ce qui donne un total légèrement inférieur aux 12,3L d’alcool pur par an et par personne bus en 2008. Ce qui était quand même bien plus raisonnable que les 26 L bus par chaque français en 1960.

1000020100001b3600001392c18f6098-2.png© Charles-Antoine Papillon – Représentation schématique des quantités d’alcool annuelles bues en moyenne par les français en 1960 et 2008, représentée ici par des bouteilles de Whiskey 40° de 70cl.

L’OFDT rapporte en 2014, sur les 11-75 ans, que 42,8 millions de français ont bu de l’alcool au cours de l’année, dont 8,7 millions de manière régulière (au moins 3 consommations au cours de la semaine).

Et chez les adolescents alors ?

Les chiffres que je vais vous citer proviennent majoritairement de deux grandes études : HBSC (Health Behaviour in School-aged Children) menée de la 6ème à la 2nde, et Escapad (Enquête sur la santé et les consommations réalisée lors de la Journée Défense et Citoyenneté) permettant un recueil couvrant l’ensemble de la période 11-17 ans.

Premier constat de l’enquête HBSC [1] : 59,3 % des élèves de 6ème (11 ans) ont déjà goûté à une boisson alcoolisée. Quatre ans plus tard, en 3ème, c’est 83,2 % d’entre eux. Et quand on s’intéresse aux ivresses, c’est 6,8 % des 6ème qui déclarent en avoir déjà expérimenté au moins une, contre 34,0 % des 3èmes ! Pour ce qui est de l’effet genre, les jeunes hommes sont plus précoces à l’arrivée au collège, mais plus aucune différence n’est constatée à partir de la 4ème.

Les résultats de l’enquête Escapad [2] sont du même acabit. Ils indiquent que 58,9 % des adolescents de 17 ans ont déjà été ivres, 49 % au cours des 12 derniers mois et 8,9 % au moins 10 fois lors de cette même période ! Pour ce qui est du binge drinking, pratique d’origine anglo-saxonne visant à consommer très rapidement de grandes doses d’alcool pour obtenir les effets pharmacologiques de l’alcool le plus rapidement possible, 48,8 % de ces adolescents disent l’avoir pratiqué au cours des 30 derniers jours, et 3 % l’ont fait au moins 10 fois sur cette même période de temps.

Ces résultats sont forts inquiétant, et pourtant la France n’est « que » huitième dans le classement Européens (sur 33 pays) des jeunes buveurs. Tandis que nous sommes au 12ème rang en ce qui concerne le binge drinking chez les jeunes.

Et enfin, 6,6 %.

C’est le taux d’adolescents âgés de 17 ans qui n’ont jamais expérimenté aucun des trois principaux produits : alcool, tabac et cannabis.

Alors que 91 % ; c’est le taux d’adolescent qui a déjà expérimenté au moins une fois l’alcool…

Pour faire une petite comparaison avec nos amis Américains, où je le rappelle, l’alcool est interdit aux moins de 21 ans, voici quelques données : l’âge moyen de leur première consommation d’alcool est de 12 ans (contre 14 en France en 2008 – on est passé à 15,2 ans en 2011), avec 48,3% des plus de 12 ans qui ont consommé dans le mois [3]. Et même si l’alcool est interdit aux 12-20 ans, c’est ce même groupe qui consommerait 20% de l’alcool bu aux USA [4].

Le binge drinking : problème des générations Y-Z ?

Les chiffres que je vous ai cités jusqu’ici sont stupéfiants mais ont des implications difficilement discernables. En effet, ils ne se suffisent pas à eux même pour poser la moindre conclusion de certitude. Les français d’aujourd’hui boivent beaucoup moins que ceux des années 1960, mais cette baisse de volume est surtout due à une réduction de la consommation de vins… Quid des alcools forts ?

La seule « révolution », qui n’en est toutefois pas une, est le binge drinking. La consommation de plus de 5 verres (4 pour les femmes) en moins de 2 heures (ou en une occasion; les définitions peuvent être très variables). En effet, si on prend la définition large du « 5 verres en une soirée », le binge drinking ne date pas de la dernière pluie. Mais il est vrai qu’une augmentation de ces comportements de « biture express » est observable chez les jeunes à la recherche de sensations.

Et ces comportements sont loin d’être inoffensifs pour l’organisme, contrairement à ce qu’il est souvent pensé. Les études démontrant les effets toxiques du binge au niveau cérébral se multiplient, et les comparaisons « adolescents vs adultes », « hommes vs femmes », sont la preuve que le binge drinking n’est pas une pratique anodine. En effet, les adolescents sont moins touchés par les effets négatifs de l’alcool comme l’incoordination, l’hypothermie, l’hypnose, mais plus enclins à apprécier les effets positifs comme la désinhibition. Tout cela est dû aux effets neuropharmacologiques de l’alcool. Mais ce ne sont pas les seuls ; seulement ceux que l’on peut observer macroscopiquement. En parallèle, il est observé au niveau du cerveau des adolescents bingers une plus grande interférence avec les capacités d’apprentissage, de mémorisation, de compréhension… Cela passe par une réduction de la neurogénèse (production de nouveaux neurones) et de la connectivité neuronales (l’interaction en réseau des neurones, la base même du fonctionnement de votre cerveau) [5].

Tout cela se déroule à un moment clef de la maturation cérébrale. Car contrairement à la maturation sexuelle, le cerveau n’est pas « adulte » à 18 ans. Il faut attendre l’âge de 25 ans environ pour que toutes les régions cérébrales le soient, et notamment le cortex préfrontal. Région d’importance s’il en est puisqu’elle est le siège de la conscience, de la personnalité … et de la prise de décision ! Et qui est donc la première touchée par ces intoxications abusives. Cela explique aussi les récents résultats démontrant que des comportements de binge drinking à l’adolescence sont liés au développement d’une alcoolo-dépendance à l’âge adulte.

Enfin, n’oublions pas que l’alcool ne touche pas uniquement le cerveau, mais l’organisme dans sa globalité. Et bien que jusqu’à présent une ligne séparait l’alcoolo-dépendance néfaste du binge drinking purement récréatif, la littérature scientifique vient chaque jour casser un peu plus cette croyance erronée. Le binge drinking est tout aussi néfaste que la dépendance à l’alcool, preuve s’il en faut, de récentes études prouvent que le binge drinking touche le système hépatique sévèrement, jusqu’à provoquer le développement de la maladie alcoolique du foie (i.e catégorie de maladies telles que la steatose, cirrhose, hépatites).

Charles-Antoine Papillon

Notes :

[1] Currie C., Zanotti C., Morgan A., Currie D., De Looze M., Roberts C., Oddrun S., Smith O. et Barnekow V., Social determinants of health and well-being among young people. Health Behaviour in School-aged Children (HBSC) study: international report from the 2009/2010 survey

[2] Spilka S., Le Nézet O., Ngantcha M. et Beck F., Les drogues à 17 ans : Analyse de l’enquête ESCAPAD 2014. Tendances, n°100, 2015, 8 p.

[3] Brust JCM (2007) : Aspects neurologiques de l’addiction, 2ème édition. Elsevier Masson.

[4] Foster SE, Vaughn RD, Foster WA, et al (2003) : Alcohol consumption and expenditures for underage dringking and adult excessive drinking. JAMA 289:989.

[5] Expertise collective INSERM ‘Les conduites addictives chez les adolescents’. 2014.

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